Écrit par l'équipe P-Val
retraite #2
 

Retraites : une réforme technocratique et peu inspirée

A l’heure des manoeuvres politiques qui accompagnent la revue du projet de réforme des retraites à l’Assemblée, il semble intéressant d’appliquer notre grille « Monde Meilleur » pour vous offrir un regard neuf et objectif.

En résumant le projet de réforme, il s’agit de préserver notre système par répartition, un des piliers de notre modèle social depuis 1945.

Par l’allongement de la durée légale du travail de 62 à 64 ans, elle active un des 3 leviers possibles d’équilibrage que sont la hausse des cotisations des actifs, la baisse des pensions ou l’allongement de la durée du travail. Par ce dernier choix de l’allongement, le projet permet d’équilibrer la somme des cotisations des actifs – qui cotisent ainsi plus longtemps – avec la somme des pensions versées aux retraités dont le nombre est en augmentation constante en raison du vieillissement de la population. L’ambition de la réforme serait une « ambition de justice et de progrès » et repose sur 5 principes rappelés par le Premier Ministre : les économies réalisées ne financeront rien d’autre que les retraites, il n’y aura ni augmentation du coût du travail ni augmentation des impôts pour préserver notre compétitivité, le système sera à l’équilibre en 2030, les retraités verront leur pouvoir d’achat augmenter et enfin, les situations différentes entre métiers et trajectoires de carrière seront prises en compte.

 Sous notre loupe, cette réforme contribue-t-elle à un Monde meilleur ?

Tout d’abord, crée-t-elle un Monde « commun » ?

La réforme implique-t-elle bien toutes les parties prenantes ? Ou bien se concentre-t-elle toujours sur les mêmes personnes ? Ainsi les retraités doivent ils contribuer au financement en diminuant leurs besoins de financement et donc le niveau de leur pension ? Ça irait dans le sens d’études économiques (OCDE, AFSE, …) qui rappellent que le pouvoir d’achat moyen des retraités a dépassé celui de l’ensemble de la population depuis les années 2000, anomalie française en Europe. Ce levier n’a pas été exploré. Et les entreprises ? Joueront-elles le jeu en maintenant dans l’emploi les seniors ? Rien n’est moins sûr quand on sait que malgré le rallongement de l’âge de départ depuis 2010, le nombre de chômeurs des plus de 55 ans a augmenté. Une incitation est-elle souhaitable ? La réforme en profite-t-elle pour restituer du pouvoir d’achat aux femmes par rapport aux hommes après une vie de travail ? Peu de choses sont prévues pour corriger cet état de fait : le montant des pensions versées aux femmes est inférieur de 40 % à celui versé aux hommes, quand en France en 2022, les salaires des femmes sont inférieurs en moyenne de 22 % à ceux des hommes. A contrario, l’extinction à terme des très nombreux régimes spéciaux en France (industries électriques et gazières, notaires…) crée bel et bien un socle commun, …mais qui avancera à l’allure de sénateur. On pourrait dire plutôt à l’allure de grand père car la « clause du grand père » fera disparaitre les dispositifs spéciaux qu’aux seuls nouveaux embauchés à partir de l’année prochaine.

Ensuite, la réforme est-elle durable, c’est-à-dire préserve-t-elle l’avenir dès aujourd’hui ?

Si l’on pense à l’atteinte de l’équilibre financier, objectif premier, celui-ci n’est assuré que dans 8 ans, en allongeant l’âge de départ de 3 mois par an. Certaines des précédentes réformes étaient plus volontaristes. Aurait-on pu aller plus vite ? C’eut été au risque de frustrer la frange des Français actuellement proches de la retraite et qui forme de gros contingents (les « boomers » nés autour de 1960). On peut comprendre la prudence du gouvernement. Durable signifie aussi robuste à moyen-long terme pour préserver l’avenir. L’actuelle réforme prévoit un équilibre en 2030. Et après ? Est-il suffisamment robuste ? Pas sûr, à écouter les économistes qui pointent des hypothèses macroéconomiques audacieuses (taux de chômage bas, inflation contenue, …). Par ailleurs, la robustesse est aussi à regarder en termes de conséquences dans la sphère économique. Un exemple est l’effet de bord de l’allongement de la durée de travail sur la hausse des arrêts maladie et des décès pendant le temps d’activité. C’est un effet mécanique et statistique qui engendrera une hausse des coûts de prévoyance. Qui paiera ? Les entreprises au détriment du coût du travail ou bien les salariés au détriment de leur pouvoir d’achat ? La première option est plus probable. Dans ce cas, la productivité marginale des salariés maintenus dans l’emploi (62-64 ans) fera-t-elle plus que compenser la perte de compétitivité ?

Une question cruciale est de savoir si la réforme est juste.

D’autant que c’est la promesse du gouvernement qui vend une réforme « de justice et de progrès ». Est-ce juste que les personnes ayant commencé à travailler tôt, les « carrières longues », cotisent plus longtemps que la plupart des actifs ? A l’issue de la montée en charge de la réforme, la durée de cotisation pour une retraite à taux plein sera de 44 ans. S’il existe des flexibilités sur l’âge de départ à la retraite (par ex. un actif ayant commencé à 18 ans pourra partir à 60 ans), la durée de cotisation de 44 ans à taux plein est fixe dans l’état actuel du projet. Créer une inégalité dans l’effort (durée des cotisations) se superposerait à l’inégalité de classe entre ouvriers et cadres dont l’âge de début d’activité leur est supérieur de l’ordre de 4-5 ans. Est-ce juste ? Dit autrement, la mesure assure-t-elle le respect de ce qui est dû à chaque partie prenante en fonction de sa contribution ? Pas sûr. Mais le cœur du réacteur est bien la durée des cotisations, pas tant l’âge du départ. Sur les 18 milliards d’€ que représente la réforme en termes de recettes, l’abaissement de 44 à 43 ans de la durée des cotisations pour les carrières longues coûterait 1,8 milliard. Plus de justice signifie-t-il moins d’efficacité du système ? Qu’est ce qui est le plus juste ? Un élément à regarder est la possibilité de modifier les paramètres de la réforme dans le temps. Ici y a-t-il des clauses de révision ? La révision peut-elle explorer de nouveaux leviers, par exemple sur les indices de pouvoir d’achat des retraités qui, s’ils sont maintenus hauts par rapport à la population nationale, déclencheraient un financement additionnel ou au moins un dialogue visant à réguler ce qui est juste ? Enfin, connaissant l’amour des Français pour la retraite (« le capital de ceux qui n’en n’ont pas »), ce paradis est d’autant plus désiré qu’il est la récompense d’une vie de labeur qui n’a jamais été autant marquée par la souffrance au travail qu’aujourd’hui. Est-ce juste, dans une ambition de justice et de progrès, de ne s’attaquer qu’à la retraite et son financement sans « faire système », sans alléger les conditions de travail pour rendre ce travail le plus heureux possible ? La perception de solidarité entre générations en sortirait plus forte et remplacerait un « système » par répartition aujourd’hui désincarné.

Enfin, le système n’offrirait aucun débat s’il n’était performant.

Un monde performant doit créer de la valeur mesurable. Que produit la réforme des retraites de ce point de vue ? Après avoir enregistré des excédents en 2021 et 2022, le système de retraite serait déficitaire en moyenne sur les 25 prochaines années avec, selon le Conseil d’Orientation des Retraites, des hypothèses de projection globalement plus défavorables sur le long terme. La réforme comble ce déficit de la même manière que de nombreux pays développés avant la France. L’âge officiel de départ est de 67 ans aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie, aux Pays-Bas, 66 au Royaume-Uni, 65 en Espagne…de nombreux pays développés sont déjà dans des âges de départ supérieurs à ce que prévoit la France. La réforme permet d’être à l’équilibre dans des conditions donc plus favorables que nombre de nos voisins. Allons même plus loin. Si l’on met ce sujet en perspective de notre taux d’emploi en France, pour avoir une « surface » de travail (durée de travail x proportion de la population ayant un travail), la réforme semble également aller dans l’intérêt de la France. En effet le taux d’emploi en France, c’est-à-dire le nombre de personnes disposant d’un travail par rapport au nombre de celles en âge de travailler est un des plus faibles en Europe. Par conséquent, la réforme atténue la capacité de travail plutôt faible des Français (durée de travail plus courte, taux d’emploi plus bas) qui serait inférieure de 10% à 15% de nos homologues étrangers et aurait un impact sur notre PIB.

 Au total, si l’on notait les 4 critères de 1 à 5, nous dirions Commun 2/5, Durable 2/5, Juste 2/5, Performant 4/5. Une moyenne à 10/20, toute technocratique et au global peu inspirée car établissant trop peu de ponts entre nos différents défis.

Et vous ? Dans quelle mesure estimez vous que le projet nous rapproche d’un monde meilleur ?

Armand Jiptner

médaillon aj

 

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