Ecrit par l'équipe de P-Val by Circle Strategy

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Avec le nouvel accord de coopération Renault-Nissan et comme dans la comptine enfantine « Un pas en avant … », je ne suis pas sûr que les acteurs sachent vraiment s’ils ont avancé ou reculé, au-delà des discours de façade.

L’accord qui prévalait auparavant, le RAMA (« Restated Alliance Master Agreement »), aux contours byzantins, ne tenait que par l’incarnation du pouvoir par un homme fort, Carlos Ghosn. Aujourd’hui, « place à la normalité » comme le dit Jean-Dominique Senard.

L’accord quitte désormais un monde Domestique, « le chef a dit », pour un Monde Civique, « la norme ». Le Monde domestique, qui a laissé se développer les dérives connues, avait le mérite de l’informel : « Carlos a dit … » suffisait pour débloquer des budgets, l’utilisation de brevets, … sans tomber dans un formalisme juridico technocratique. Demain, l’explication de « qui fait quoi, avec quels moyens, avec quel contrat, … » sera peut-être plus saine mais surtout plus longue.

Que faut-il alors penser des perspectives de coopération autour de ce nouvel accord ?

La première pierre d’une Coopération est une ambition forte, fédératrice qui dépasse les intérêts de court terme des parties prenantes.

L’accord parle de « projets opérationnels à forte création de valeur ». La liste est longue mais elle n’engage que ceux qui voudront vraiment les réaliser. Le nouvel accord prône une union libre entre les deux constructeurs sans but commun fédérateur si ce n’est des intérêts bien compris au coup par coup.

Dans ce contexte, où le sens commun est limité, tout va reposer sur la manière dont les Managers vont fonctionner, c’est-à-dire dans quel Monde les Manager vont penser et agir.

Et là, il faut tenir compte du passé qui a laissé des traces « C’est comme si on demandait à 10 000 couples divorcés de se remettre ensemble » comme le dit un décideur dans un article récent des Echos.

Par ailleurs, si cet accord se vit dans le Monde Civique avec une armée de juristes et de comptables, il a fort peu de chances de produire les résultats escomptés.

Pour éviter cette situation, la tentation serait de vivre la coopération dans un Monde Marchand, purement transactionnel, au cas par cas, où le plus fort à l’instant donné gagne, au risque de favoriser une opposition systématique.

Par exemple, autrefois les grands marchés étaient partagés selon une règle « Leader Follower » et l’imprimatur de Carlos Ghosn. Demain, le fonctionnement annonce « une mise en concurrence saine » entre les deux équipes. Sous la pression des résultats imposés à chaque partie, la concurrence risque de quitter rapidement le terrain du gentleman agreement pour devenir insidieuse voire frontale.

L’équilibre entre ces deux Mondes Civique et Marchand qui se critiquent volontiers ne va pas être simple à construire et à faire vivre.

Il va demander une gouvernance très précise, une « poigne de folie » selon les mots d’un décideur. Mais il va surtout exiger un Monde Commun, même diffus, pour permettre des approches de type « don et contre don », en dehors d’un système comptable et juridique. C’est par exemple le sujet de la mise à disposition des brevets de chacun des groupes. Si Renault semble prêt à jouer le jeu de la mise en commun, il semble que Nissan soit beaucoup plus réticent.

En effet, la coopération nécessite la prise de conscience objective du besoin de l’autre. « Je ne peux pas atteindre seul mon objectif (qualité, coût, délai, …) et donc j’ai besoin de l’autre, même si je ne l’aime pas ». Comme les Russes et les Américains l’ont fait et le font toujours, pour le succès de la station orbitale internationale, l’ISS.

Si Lucas de Meo semble conscient de ce besoin, tout en voulant rester le plus libre possible, le patron de Nissan, Uchida, ne se livre pas et va devoir composer avec des visions isolationnistes fortes.

La question posée ici est celle de l’intensité de la coopération, qui dépend bien sûr des parties prenantes. Pour évaluer cette intensité nous proposons notre échelle des accords de coopération, de 1 à 5.

1. Pas de coopération. Les parties, pas encore « prenantes », n’ont pas vraiment identifié le besoin de coopération. Faire seul reste l’option première.

2. Conflit. Pas au sens de la bagarre ouverte, mais dans le frottement nécessaire pour caler les points de vue et les contributions. Les parties prenantes ont conscience que faire avec l’autre est nécessaire. Mais les gains, les coûts, les modalités de la coopération sont en cours d’exploration.

3. Le (petit) arrangement entre amis. La coopération repose sur la bonne entente, le Monde commun entre deux décideurs clés (Carlos G avec Carlos G, c’était effectivement plus facile 😊). C’est François Mitterrand avec Helmut Kohl. Mais elle se limite justement à ce rapport « familial » et disparait quand l’un des acteurs quitte le terrain de jeu.

4. La mise en place d’une intersection commune entre les deux Mondes. Chacun reste différent mais la zone de coopération existe bien, structurée par des processus d’interaction et de décision plus ou moins stricts. C’est par exemple la relation client fournisseur construite dans la durée par des processus d’achat et par une connaissance réciproque des capacités et des critères.

5. L’appartenance à un même Monde. Un cran plus loin, c’est l’appartenance des différentes parties prenantes à un même Monde Commun. Ce Monde « macro » peut englober les deux Mondes en présence. Cela peut aller jusqu’à la fusion au sein d’un Monde commun unique. Le groupe La Poste est un exemple intéressant sur ce plan car il fait coopérer des métiers très différents comme La Banque Postale et Géopost dans un même Monde de Coopération.

Cette échelle des accords de plus en plus coopératifs est celle que vont devoir « grimper » Renault et Nissan. Aujourd’hui, je les perçois plus au stade 1 (chacun parle du bout des lèvres), voire 2 (le sujet est instruit sérieusement sur des terrains de jeu utiles). L’espérance est sans doute d’atteindre le niveau 3 grâce à la création d’une confiance entre des personnes qui s’engagent des deux côtés pour réussir des premières coopérations concrètes.  Au-delà, la pente risque d’être très raide et les tentations centrifuges trop fortes ?

Quels enseignements pour nous tous qui tentons de coopérer le plus efficacement possible ? J’en cite 3.

1.     Expliciter très clairement l’Ambition commune et pourquoi chaque partie a besoin de l’autre

2.     Explorer sans concession la position actuelle sur l’échelle des Accords, sans tabou, sans discours politique

3.     Sur cette base construire un chemin factuel pour vous hisser ensemble à l’échelon supérieur

 

Laurent Dugas

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